ALLEMAGNE : « JE JOUE SUR PLUSIEU RS TABLEAUX, MAIS L'IDÉAL RESTE À CONSTRUIRE »
Peter Guhl produit 1,4 million de litres de lait dans le nord de l'Allemagne. Avec la fin des quotas, il craint une explosion de la production et une chute des prix. Plus que la croissance, c'est la rentabilité qui l'intéresse.
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LE CONTEXTE LAITIER A BEAUCOUP CHANGÉ mais son organisation peine à s'adapter », analyse Peter Guhl. Cet éleveur de 50 ans est un militant, un passionné par la production laitière. Il a débuté en 1991 avec son père et un troupeau de 28 vaches. À deux kilomètres à l'est de l'Elbe, l'exploitation se trouve dans l'ex-Allemagne de l'Est. Son père a commencé sa carrière sur une ferme collective. Ces structures ont disparu après la chute du mur de Berlin.
« À l'époque, l'État donnait du quota à ceux qui en faisaient la demande, à raison de 600 000 litres pour une personne et un million pour deux. Nous n'avons jamais acheté de référence », explique Peter.
En 1991, il a construit un bâtiment pour 120 vaches, un investissement d'un million de deutsche marks (un peu plus de 500 000 €), qui héberge encore le troupeau aujourd'hui.
« UNE EXPLOSION DE LA PRODUCTION EUROPÉENNE EST À CRAINDRE »
Dès 1995, les éleveurs ont investi dans la transformation à la ferme pour améliorer leur prix du lait. Ils ont créé une société familiale distincte de l'exploitation. Elle lui achète le lait (280 000 l/an) et se charge de la fabrication (yaourts, beurre, lait liquide) et de la commercialisation. Cette entreprise vend également de la viande en direct. Elle emploie dix salariés. La fille de Peter, Juliana, y consacre une part importante de son temps.
L'élevage vend le reste du lait, soit 80 %, à un trader, BMJ (Berliner Milcheinfuhrgesellschaft). « Nous avons un contrat commun à une quarantaine d'éleveurs pour 60 Mkg, mais il ne définit pas le prix », regrette Peter. Il est négocié chaque mois. En réalité, le trader s'aligne sur les prix pratiqués par les entreprises du secteur. Début mars, le lait était payé à 28 centimes par kilo, soit en dessous du prix d'équilibre. On est loin de la crise de 2009 (19 c/kg durant cinq longs mois) mais Peter est inquiet. « La Chine achète moins, l'embargo russe touche certains industriels allemands, et je crains une explosion de la production européenne dès ce printemps. »
Peter joue sur plusieurs tableaux pour s'adapter à cette volatilité. Il mise d'abord sur la performance technique afin de maximiser les rendements avec un minimum d'intrants. Il joue aussi sur l'autonomie alimentaire. La surface de l'exploitation couvre largement les besoins en fourrages. Elle fournit également des céréales qui entrent dans la ration.
« J'INVESTIS DANS UNE PETITE UNITÉ DE BIOGAZ »
De plus, les cultures de vente représentent un tiers des produits, une diversification appréciable. Et puis, les prix des produits transformés à la ferme sont moins soumis à la volatilité, ce qui apporte une sécurité supplémentaire.
Pour diversifier encore ses recettes, Peter se lance dans le biogaz. « Nous allons monter une petite unité autonome qui ne valorisera que des effluents issus de l'élevage. » L'investissement, prévu en 2015, se monte à 500 000 €. Avec un prix de vente garanti de 24 c/kWh durant vingt ans, Peter est certain de la rentabilité de l'opération.
Ses projets ne s'arrêtent pas là. Dès cette année, un silo et une fosse à lisier vont voir le jour. Le silo actuel n'est pas aux normes. Quant à la fosse, elle est trop petite. Avec une capacité de 5 000 m3, la nouvelle donnera davantage de souplesse pour la valorisation des effluents. L'élevage va investir 300 000 € dans ces ouvrages.
La construction d'un bâtiment pour les vaches est aussi à l'étude. « Notre étable à génisses est obsolète et nous ne pouvons plus repousser les travaux. Nous pensons les ramener dans l'étable des vaches et construire à neuf pour les laitières. »
L'éleveur évalue l'investissement à 600 000 € pour 250, voire 300 places. Mais tout dépendra de ses choix. Il pourrait bénéficier de 40 % de subventions de la région
Mecklenburg-Vorpommun, à condition de respecter des normes de bien-être animal. Un sujet cher à la société allemande du Nord. Il faudrait alors prévoir une logette et une place à l'auge pour chaque vache, alors que l'éleveur pense que le bâtiment pourrait bien fonctionner avec 80 places pour 90 vaches. Peter n'a pas encore pris sa décision.
« Les préoccupations sociétales augmentent et pourraient devenir un problème. Car elles engendrent des surcoûts qui nous pénalisent par rapport à nos concurrents », dit-il.
En revanche, la société allemande ne s'émeut pas de la taille des élevages. Peter voit plusieurs bonnes raisons de profiter de l'investissement pour produire plus.
« LES MÉTIERS D'ÉLEVAGE NE SONT PAS ATTRACTIFS »
Tout d'abord, la surface fourragère permet de nourrir davantage d'animaux. Les équipements ne sont pas saturés non plus. La salle de traite date de 2008. Un salarié y passe actuellement trois heures et demie deux fois par jour. Il est possible de traire davantage de vaches sans l'agrandir au-delà des 2 x 10 postes actuels. Et surtout, Peter aime l'élevage. Il est heureux que sa fille travaille avec lui et cela représente une motivation pour développer le lait. Cependant, cela suppose aussi d'obtenir un contrat pour du volume supplémentaire, et de trouver des salariés.
Car le principal facteur limitant devient la main-d'oeuvre. « Les métiers d'élevage ne sont pas attractifs », précise Peter. Ses salariés actuels sont originaires de la région et il en est satisfait, mais il est difficile de recruter. Selon lui, il ne s'agit pas d'un problème de rémunération. Car le coût de la main-d'oeuvre et le niveau des salaires sont en hausse du fait de l'instauration récente du salaire minimum en Allemagne. Depuis janvier, le salaire horaire brut est passé à 7,60 € pour un trayeur, soit une hausse de plus de 1 €. Et les employeurs sont désormais astreints à de nouvelles contraintes administratives concernant notamment l'enregistrement des heures au quotidien. Le salaire minimum passera à 8,60 € d'ici à deux ans. Mais cela ne suffira pas à attirer les candidats.
Pour résoudre cette difficulté qui concerne avant tout la traite, l'éleveur envisage l'installation d'un robot. En attendant, c'est lui qui se charge de la traite et des soins aux animaux le dimanche. « Je garde ainsi le contact avec le troupeau, c'est important pour moi. »
La disparition des quotas n'émeut pas Peter. Il considère que le système fonctionnait mal, mais que la nouvelle Pac n'est pas la panacée, même s'il trouve que l'observatoire européen des marchés comme les OP constituent des avancées.
Pour lui, l'idéal reste à construire. « Je préside le Milchboard, qui regroupe 16 000 éleveurs. Nous militons pour que chacun produise dans le cadre d'un contrat définissant un volume, avec des pénalités en cas de dépassement, et un prix pour au moins trois à six mois. C'est un peu le modèle de BayernMeg. Mais c'est différent du schéma défendu par l'EMB qui voudrait imposer une baisse de volume à tous en cas de crise. Notre idée est que les volumes définis au contrat correspondent au marché et suivent ces évolutions de manière à toujours avoir une bonne adéquation entre l'offre et la demande, afin d'éviter les crises », explique Peter.
PASCALE LE CANN
Construit en 1991, le bâtiment d'élevage, semi-ouvert, reste simple mais fonctionne bien. Il devrait bientôt accueillir les génisses et une étable neuve sera construite pour loger 250 à 300 vaches.
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